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[Relation internationale] Le Japon doit reconnaître sa responsabilité historique
Le 26 décembre 2013, le premier ministre japonais Shinzo Abe en pèlerinage au sanctuaire Yasukuni, à Tokyo.
Contrairement à l'Allemagne, le Japon n’a pas reconnu ses errements passés, et des signes inquiétants montrent que le nationa-lisme pourrait y renaître de ses cendres, analyse l’auteur.
Le documentaire Lumières et Ténèbres - réflexions sur les responsabilités de l’Allemagne et du Japon dans la Seconde Guerre mondiale, diffusé en juin dernier sur la CCTV, expose les attitudes différentes de l’Allemagne et du Japon envers leurs responsabilités dans la guerre et les leçons qu’ils en tirent. Un documentaire qui s’appuie sur un grand nombre de documents et d’archives historiques, ainsi que d’interviews avec de nombreux témoins, hommes politiques, chercheurs et personnes ordinaires.
Réflexions différentes
Le documentaire s’ouvre sur le discours prononcé par la chancelière allemande Angela Merkel en 2014 à l’université Tsinghua de Beijing. Mme Merkel a dit à propos de l’histoire de l’Allemagne nazie que tous les Allemands se doivent d’examiner les faits et les manquements du passé. « C’est un processus douloureux », a-t-elle expliqué, mais « il est correct que l’Allemagne regarde en face son histoire pour que ses descendants ne commettent pas les mêmes erreurs ».
Le documentaire montre une grande quantité d’archives illustrant la profonde réflexion qui s’est engagée parmi les Allemands en vue de conjurer leur passé. Par exemple, le gouvernement allemand a présenté ses excuses à la Pologne et ce pardon a été demandé par des actions concrètes ; l’Allemagne a érigé au centre de Berlin un monument en commémoration des juifs tués pendant la Guerre mondiale.
L’attitude du Japon est très différente de celle de l’Allemagne. Pendant les décennies qui ont suivi la guerre, ce pays n’a pas reconnu sa responsabilité particulière et est allé jusqu’à modifier les contenus des manuels scolaires, transformant son agression en « guerre pour libérer l’Asie de l’Est », posant le Japon en victime de la guerre. On voit même certains hommes politiques japonais se rendre en pèlerinage au sanctuaire Yasukumi et encourager la renaissance du militarisme. Un des signes les plus inquiétants de cette dérive est apparu en 2014, lorsque le gouvernement Abe a fait voter au parlement japonais la révision de l’article 9 de la Constitution japonaise. Une révision qui ouvre le droit au Japon d’exercer son droit à l’autodéfense collective, de renforcer son armée et d’envoyer à l’étranger des forces militaires. Selon un historien allemand, « l’Allemagne et le Japon ont déclenché la guerre mondiale par le nationalisme extrême et le racisme. Le Japon nie et relativise ses responsabilités pour défendre son identité nationale, tandis que l’Allemagne lutte contre le nationalisme et le racisme de façon radicale ».
Les raisons cachées
Pourquoi les perceptions de l’Allemagne et du Japon sur leurs actes dans la Seconde Guerre mondiale sont-elles si différentes ? Le documentaire apporte plusieurs éléments de réponse à cette question.
Premièrement, la différence des punitions imposées à l’Allemagne et au Japon à l’issue du conflit, qui entraîne deux résultats divergents. Après la guerre, l’Allemagne était occupée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’URSS. Les Allemands étaient bien conscients qu’en tant que vaincus, ils devraient faire face à la réalité, à moins de risquer un traitement plus sévère encore. Ainsi, la plupart des Allemands ont choisi de se détacher du passé et de s’orienter vers l’avenir.
Au fil de l’histoire, avec l’approfondissement du mouvement de dénazification mené par les États-Unis et l’URSS en Allemagne et visant à y éradiquer l’esprit nazi, mais aussi les efforts de leaders allemands tels que Konrad Adenauer, victimes des nazis avant de prendre le pouvoir, les informations sur les crimes commis par les nazis pénétraient progressivement tous les esprits. Tout cela a amené les Allemands à assumer leurs responsabilités.
Contrairement à l’Allemagne, le Japon n’a pas été sévèrement sanctionné. La raison en est que dès la fin de la guerre, le conflit s’amorçait entre les États-Unis et l’URSS et donnait lieu à des divergences de vues entre les deux pays vainqueurs. D’autre part, le Japon était occupé par les seuls États-Unis, qui avaient donc la pleine souveraineté sur les sanctions applicables. La guerre froide a commencé alors que les Américains hésitaient encore sur le régime à appliquer au Japon. Avec le début de la guerre de Corée, les États-Unis ont décidé d’utiliser le militarisme japonais pour l’opposer à l’URSS et à la Chine, d’où les sanctions assez légères imposées au pays. Par exemple, des militaristes japonais ont pu se maintenir dans les milieux politiques. Dans ces conditions, il était difficile d’imaginer que le gouvernement japonais reconnaîtrait ses responsabilités dans la guerre. Et la nation japonaise dans son ensemble n’a pas pu regarder en face son histoire de guerre ni en tirer les leçons.
D’autre part, l’Allemagne a éliminé radicalement les sympathisants du nazisme dans son administration, tandis que le Japon n’a pas conduit de répression des éléments pro-militaristes. À la fin de la guerre, le chef nazi Adolf Hitler s’était suicidé, et les dignitaires du régime étaient en fuite ou s’étaient rendus aux Alliés. L’Allemagne a établi un système juridique destiné à définir les responsabilités sur un plan légal. Le pays a encore renforcé l’éducation des adolescents de sorte que les générations futures n’oublieraient pas les crimes du passé. En Allemagne, la loi sur l’éducation stipule explicitement que les manuels de l’histoire doivent comprendre suffisamment de contenus sur l’histoire de l’époque nazie, que les professeurs doivent expliquer en détail l’histoire du nazisme, et s’opposer à tout propos faisant l’apologie du IIIe Reich et de la Shoah.
Le cas du Japon est différent. D’une part parce que l’empereur japonais, inspirateur du militarisme qui déclencha la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, n’a jamais reconnu son crime de guerre. Dans la Déclaration impériale de fin de la guerre prononcée par l’empereur japonais le 15 août 1945, celui-ci disait : le Japon a « mis fin à la guerre » parce que « la situation mondiale n’est pas favorable au Japon et que les Alliés utilisent une bombe dévastatrice. Dans l’intéret de ses sujets, le Japon est obligé d’accepter la déclaration des quatre pays (États-Unis, Grande-Bretagne, Chine, URSS) ». C’est-à-dire que le Japon se vit obligé de « mettre fin à la guerre » et non pas de capituler. L’empereur japonais a prétendu dans sa déclaration avoir déclenché la guerre pour la survie du Japon et la paix en Asie de l’Est. Une déclaration qui, loin de reconnaître une responsabilité, prend la défense de la guerre japonaise.
Les États-Unis de leur côté n’ont pas destitué l’empereur du Japon, ils ont conservé le système impérial aux fins de faciliter leur occupation du pays. Comme l’empereur du Japon est le chef de guerre suprême, maintenir son titre, c’est préserver le pilier spirituel du militarisme. Dans le contexte de la guerre de Corée, utiliser le Japon pour contrer la Chine devient la première préoccupation stratégique des États-Unis. Finalement c’est le changement de conjoncture internationale qui offre une bonne occasion à la résurrection du militarisme japonais.
Nobusuke Kishi, d’abord chargé du pouvoir économique dans le Mandchoukouo, l’État fantoche contrôlé par l’Empire du Japon entre 1932 et 1945, puis responsable de l’économie et de la coordination du ravitaillement pendant la guerre dans le cabinet Tojo Hideki, n’a pas été inquiété. Il a adhéré en 1955 au premier parti du Japon, le Parti libéral et démocratique, à tendance conservatrice. Deux ans plus tard, il était élu premier ministre du Japon.
C’est ainsi que des militaristes accédaient au pouvoir au Japon. Les droitistes se sentaient pousser des ailes. Le retour vers le militarisme est devenu tendance au Japon.
Nobusuke Kishi a préconisé la révision de la Constitution du Japon, le renforcement de l’armée japonaise et la renaissance du militarisme au Japon. Shinzo Abe, premier ministre japonais actuel, héritier de la pensée de son grand-père maternel Nobusuke Kishi, a révisé la Constitution pacifique, levé l’interdiction d’autodéfense collective, défiant les pays voisins. Sa politique est expansionniste en mer de Chine orientale et il se pique d’intervenir dans le dossier de la mer de Chine méridionale, créant des tensions dans la région. Dans ses mémoires, Shinzo Abe écrit : « Mon ADN politique vient plutôt de mon grand-père maternel ». Une phrase qui révèle sans ambiguïté les origines de la renaissance du militarisme japonais.
Un examen de conscience favoriserait la paix future
Au lieu d’être un travail de mémoire, la politique japonaise d’après-guerre ressemble plutôt à un revanchisme vindicatif qui nuit à l’ordre international établi en 1945. Le fait de ne pas reconnaître ses responsabilités ternit les relations du Japon avec ses voisins, compromet le développement de la paix, crée des tensions dans la région de l’Extrême-Orient et du Pacifique. Ceci inquiète la population mondiale : on peut se demander si le Japon, soutenu par les États-Unis, risque de d’être à l’origine d’une nouvelle guerre en Extrême-Orient, voire même d’une guerre mondiale ?
Le documentaire nous conduit à de profondes réflexions : conduire une rétrospective sur les responsabilités historiques n’a pas seulement une valeur académique, mais c’est un processus qui concerne les sentiments des peuples des pays agressés. Un problème majeur pour la politique internationale, une question qui peut signifier la guerre ou la paix, et donc remettre en question la survie de l’humanité. Seule une réflexion sur la guerre peut empêcher le Japon de préparer une nouvelle guerre, et donc assurer la paix mondiale. Pour maintenir l’ordre international d’après-guerre, pour le développement et la paix du monde, le Japon se doit de reconsidérer ses responsabilités historiques. Les populations mondiales exhortent le Japon à adopter une attitude sincère, à engager une profonde réflexion sur ses responsabilités, à éliminer les répercussions du militarisme et à prendre des actions concrètes pour recevoir le pardon des pays agressés et de leur population. C’est à ce prix que le Japon pourra être pardonné par les pays et populations victimes de ses actes, et que la paix mondiale sera durable.
*LI SHI’AN est professeur au département de l’histoire à l’université Renmin et directeur de l’Institut de recherches sur l’histoire moderne et contemporaine chinoise et mondiale.
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