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De la difficulté à être un dominant
Bon film : Winter Sleep, du Turc Nuri Bilge Ceylan, palme d’or à Cannes. L’histoire d’un homme qui a pour lui la fortune (propriétaire terrien, il tient un hôtel touristique), le charisme (il fut un comédien réputé), la beauté (magnifique Haluk Bilginer), la culture (il passe des heures dans son bureau à écrire des articles), une épouse jeune et belle… Et pourtant : il se heurte à l’hostilité de ses subordonnés (un locataire irascible et son garçonnet indomptable), de sa sœur accusatrice, de sa femme fuyante ou méprisante. Pourquoi donc tant de haine ? Pour la seule raison qu’il est un dominant, riche et puissant ? Pas seulement : c’est aussi, c’est surtout parce qu’il est un dominant qui ne s’assume pas comme tel, qui se dérobe à l’exercice de son autorité, à l’affirmation de ses droits, à la jouissance de ses prérogatives, à la défense contre les accusations voire contre la violence. De la difficulté à assumer la domination lorsque celle-ci ne va plus de soi, ni pour le sujet ni pour ses sujets, qui l’accuseraient d’autoritarisme s’il s’affirmait comme dominant, et l’accusent de ne pas être à la hauteur lorsqu’il répugne à s’assumer comme tel.Mauvais film : un président de la République, qui s’est voulu «normal» alors que c’est une qualité antinomique de sa fonction, envoie le même message contradictoire de qui se sait dominant mais ne s’assume pas tel, et se trouve, de ce fait, en butte aux avanies. Que n’a-t-il médité le livre de l’historien Ernst Kantorowicz sur «les deux corps du roi» - le corps réel, celui de tout être «normal», et le corps symbolique, qui permet à la foule de crier «Le roi est mort ! Vive le roi !» ? Il aurait compris qu’en rabattant le corps symbolique sur le corps réel - tel le héros de Winter Sleep, qui va lui-même rendre visite à ses locataires au lieu de laisser son factotum s’en occuper -, le président qui s’expose trop, qui prend la place de son «grand vizir» (celui qui, selon Max Weber, «endosse à sa place la responsabilité des actions du gouvernement, en particulier de celles qui échouent ou qui sont impopulaires»), échange le charisme de la fonction contre l’illusion de n’être pas vraiment un dominant. Mais le symbolique se venge, et le met à mort - une mise à mort symbolique, bien sûr. Car si, jadis, des révolutionnaires décapitèrent le corps réel du roi pour détruire son corps symbolique, aujourd’hui, les ragoteurs détruisent le corps symbolique faute de pouvoir atteindre le corps réel. Comme quoi il y a quand même un progrès en histoire, et la démocratie a du bon - même si, comme disait Marx, la tragédie ne se répète que sous forme de farce.
Farce donc, ou tragédie ? Avec la vengeance d’une femme, l’intérêt bien compris d’un éditeur et le voyeurisme des lecteurs qui, pour 20 euros, s’achètent le droit de regarder par le trou de la serrure avec, en prime, celui de donner des leçons de morale, c’est le pouvoir qu’on assassine, comme naguère on assassinait au village, à coups de ragots : le ragot étant devenu planétaire, à l’échelle des médias, d’Internet, de Facebook, de Twitter. Dans la politique à l’ère du ragot planétaire, ceux qui n’ont pas le pouvoir (telles les femmes du temps des villages, praticiennes expérimentées du ragot assassin) jouissent du méchant plaisir de rabaisser ceux qui l’ont. Et ce d’autant plus lorsque ceux-ci n’osent plus assumer leur domination.
Extension du domaine de l’égalité : comment être dominant lorsque l’idée même de domination, même démocratiquement instituée, est devenue illégitime ? En attendant de trouver la solution, tout le monde souffre : les grands, de ne plus être admirables ; et les petits, de ne plus pouvoir admirer.
Et pendant ce temps, les paranoïaques jubilent : ceux à qui la haine du dominant tient lieu de pensée, comme si la domination était devenue toute puissante alors que, au contraire, elle n’ose plus se présenter comme telle. C’est ce que Bourdieu nommait «l’effet d’hystérésis» : continuer sur une voie périmée, persister à souhaiter ce qu’on a déjà obtenu, à haïr ce qui n’existe plus. Mais aux paranoïaques en politique, qu’importe la réalité ? Il leur faut juste des ennemis («le paranoïaque, disait François Roustang, souffre de ne pas avoir besoin de frontières, et c’est pourquoi il a besoin d’ennemis pour les tracer»).
Nous y voilà : «Il y a d’excellentes raisons de combattre l’Occident, il y a d’excellentes raisons de vouloir la fin de cette société», proclament les jihadistes. Oups, pardon, j’ai mélangé mes fiches : c’est le «collectif de Tarnac», dans le Monde du 18 juillet.
Cette chronique est assurée en alternance par Cyril Lemieux, Frédérique Aït-Touati, Julie Pagis et Nathalie Heinich.
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