Un train d'avance
J’ai toujours pensé que le train avait été conçu pour les voyageurs contemplatifs. Tout en lui satisfait ceux qui aiment guetter les décors traversés. L’avion, trop haut, ne nourrit le curieux qu’aux trop brèves minutes du décollage et de l’atterrissage. Entre les deux, un vide blanc dont les maigres hublots permettent si peu de s’évader. Les heures au-dessus des nuages me semblent toujours un peu vides. Un peu tristes. Quant au trajet en voiture, il laisse également sur sa faim. On ne prend désormais que rarement les chemins de traverse, nationales ou routes de campagne bosselées. On roule sur autoroute, alignant les bornes kilométriques sans plus même les compter. Bitume gris. Lignes blanches. Glissières meurtrières. Comme une impression de long déjà vu.
Mais le train, lui, serpente au milieu des tableaux. Champs, forêts, villages, cours d’eau et lieu-dits dont on ne saura jamais rien. Toutes les nuances de blond et de vert s’offrent alors. Impossible d’y échapper, les murs ne sont que fenêtres qui se succèdent. Grands écrans allongés. Ouverture sur l’extérieur. Souvent, les rails surplombent un peu le paysage, permettant un horizon plus vaste. Rapide, le train à grande vitesse permet de ne pas trop s’attacher à chaque endroit traversé. Les idées du voyageur ne butent contre aucun obstacle. Regarder par la fenêtre d’un train c’est permettre à l’esprit de vagabonder sans effort.
Mais quid du bateau, le vrai bateau, celui à voiles ? Pas l’immeuble de croisière. Pas la formule 1 marine. Celui qui subit et maîtrise tout autant l’eau, selon les courants, les marées, la météo. Je n’ai jamais voyagé en goélette. Jamais vécu une traversée et passé plusieurs jours loin de la terre. Moi qui ne connaît de la mer que sa vision écumeuse depuis la plage : les jours ne seront-ils pas longs et identiques? Ciel bleu, mer bleu, horizon de bleus qui s’entremêlent?
Dans moins de deux heures, je serai à Marseille. Une heure de plus et je serai face à Tara. Je goûte encore un peu de train avant de découvrir le bateau. Me rassurant de ce connu avant l’inconnu. Dans mon sac à main, une boîte «mercalm». Pour le mal de mer. On ne sait jamais.